Les dukuns (mot indonésien pour désigner les chamans) sont connus en Indonésie pour leur pouvoir de guérison, leur connaissance des coutumes et traditions, ainsi que pour leur maitrise de la magie noire et de la sorcellerie. A Java, les dukuns sont au cœur même de la croyance kejawen et sont régulièrement appelés pour soigner un malade ou bénir un nouveau né, une nouvelle maison ou une terre pour la rendre fertile. C’est le cas également dans de nombreuses îles de l’archipel qui ont conservé de fortes croyances animistes.
Un dukun ne naît pas dukun, c’est un autre dukun qui lui transmet oralement ses connaissances. Les dukuns les plus respectés sont ceux qui ont hérités de la pratique et des savoirs d’un de leurs parents. Ne devient pas dukun qui veut. La personne qui souhaite devenir dukun doit posséder les ressources spirituelles nécessaires, sans quoi les pouvoirs extraordinaires qui lui sont inculqués le détruiront. Ces pouvoirs sont appelés ilmu (science). Il existe des ilmu pour à peu prêt tout : retrouver un objet perdu, devenir riche ou invulnérable, voir ce qu’il se passe ailleurs… Il existe même un ilmu pour prédire les évènements mondiaux importants, et, plus rare encore, pour voler, disparaître ou se changer en animal.
La plupart du temps, les gens consultent un dukun lorsqu’ils pensent que le mal qui les atteint a une origine surnaturelle, paranormale. Ce mal peut venir d’un esprit qui a pénétré le corps d’une personne. La guérison a donc un lien très étroit avec la spiritualité, la magie et la sorcellerie.
Le dukun commence par diagnostiquer la maladie grâce à la numérologie, la méditation, ou l’analyse des symptômes. La numérologie consiste à prendre la date de naissance du patient et la date à laquelle il est tombé malade, puis par divers calculs faire ressortir un nombre correspondant à une forme de traitement. C’est la méthode de diagnostic la plus utilisée puisque rapide et simple.
Le diagnostic par la méditation est plus difficile à utiliser. Il faut plusieurs années de pratique pour la maîtriser. Le dukun médite pour concentrer ses pensées jusqu’à ressentir la maladie et connaître le traitement approprié. Par des chants et des prières, il fait appel aux anges gardiens qui accompagnent les enfants à Java et Bali depuis leur naissance. Ces anges gardiens renvoient ensuite le chant au dukun qui insuffle un réel pouvoir au traitement en crachant sur le corps du malade avant de le masser, ou sur des herbes que le malade ingurgite ensuite par infusion. Ce pouvoir insufflé importe plus que la nature de l’herbe utilisée. Plus le dukun est puissant, moins l’herbe importe. C’est de sa force spirituelle dont va dépendre tout le processus de guérison.

Les dukuns sont également connus pour pouvoir communiquer avec les esprits qui selon les javanais cohabitent sur Terre avec les hommes. Lors d’une transe ou d’une profonde méditation, certains dukuns peuvent se mettre à parler l’ancien javanais ou sundanais, langages des esprits, alors qu’ils ne connaissent pas la langue.
Un dukun mal intentionné ou engagé par quelqu’un peut ainsi demander à des esprits de rendre une personne malade. Pour jeter un sort, le dukun pratique un rituel. En général, il se place au centre d’un demi-cercle d’offrandes destinées aux esprits maléfiques et implore en chantant la destruction de son ennemi. La plupart du temps les symptômes d’un ensorcellement sont des vomissements de sang, de violentes douleurs d’estomacs, une terrible fièvre, et ce pour aucune raison explicable. La plus sérieuse forme d’ensorcellement consiste à persuader les esprits d’introduire des cheveux, des ongles, du verre cassé, des pièces de métal ou des aiguilles dans l’estomac de la victime. Celle-ci entend alors une soudaine explosion tout autour de lui puis tombe terriblement malade. La seule façon de se défendre contre un ensorcellement est de trouver un dukun qui sera plus fort spirituellement que celui qui a jeté le sort.
Seules les personnes qui croient en la magie noire peuvent être atteintes. Lors de la guerre d’indépendance, de nombreux dukuns furent sollicités pour aider à combattre les hollandais. Mais cela n’eut guère d’effets sur des hollandais trop cartésiens.
Aujourd’hui encore, de nombreux indonésiens, peu importe leur degré d’instruction, consultent des dukuns, pour guérir d’une maladie, garder la santé mais aussi en vue de remporter une élection ou un procès. Parmi les indonésiens célèbres connus pour avoir sollicité l’aide d’un dukun, on peut citer les anciens présidents Sukarno, Suharto, Megawati ainsi que les sultans de Yogyakarta Hamengkubuwono IX et X.