Le wayang ou théâtre d’ombres est un spectacle traditionnel de marionnettes joué à Bali et Java. On atteste l’apparition du wayang kulit, la forme la plus populaire du théâtre d’ombres, dès le 10e siècle, quand les classiques de la littérature indienne furent traduits en javanais sous le règne du royaume de Mataram, connu pour son énorme apport culturel.

Le wayang met en scène le Mahâbhârata et le Râmâyana, fleurons de la littérature indienne Itihasa, terme qui en sanskrit signifie « cela s’est réellement passé ». Le wayang raconte donc l’Histoire et a une influence sur les valeurs morales, éthiques et religieuses des habitants. Le wayang est en fait un rituel plus qu’un simple divertissement, dont les représentations sont données pour les fêtes et les cérémonies comme les mariages, ainsi que pour tout événement important de la vie sociale.

Accompagné d’un orchestre de gamelan et par quelques chanteuses, le dalang manipule ses marionnettes au rythme de la musique. Celle-ci s’arrête par moments pour laisser le dalang réciter contes et poèmes épiques en vieux langage que la plupart des auditeurs ne comprennent pas. Mais peu importe, tout le monde connaît déjà l’histoire.

Le répertoire préféré des javanais est sans nul doute le Mahâbhârata, qui met en scène une lutte entre cousins, les Pendawas et les Korawas. Ce conflit voit s’affronter les champions de chaque clan, c’est-à-dire les cinq frères Pendawas (Judistira, Bima, Arjuna et les jumeaux Nakula et Sadewa) contre leurs cent cousins Korawas qui leur ont volé des terres.

Si l’on devait simplifier l’histoire, on pourrait dire que les Pendawas, toujours placés à droite du dalang, seraient les « bons » et les Korawas, placés à gauche, les « mauvais ». Mais les indonésiens voient l’histoire d’une toute autre façon. La lutte qui a lieu  ici ne se joue pas entre le bien et le mal mais entre le côté kasar (grossier) et alus (raffiné) de l’individu, une lutte entre le côté animal de l’individu et le détachement qu’il pourrait avoir de ce côté animal.

Dans le wayang, le désir et l’avidité sont représentés par les korawas, l’habilité à se contrôler est représentée par leurs cousins les Pendawas. Malgré tout, ni les Pendawas ni les Korawas ne sont réellement bons ou mauvais. Tous ont leurs propres défauts et qualités.

Les trois personnages principaux du wayang sont les trois frères Pendawas : Judistira, Bima et Arjuna. Les jeunes jumeaux sont des personnages mineurs. Judistira, l’aîné, est un homme très bon, trop bon en fait. Son problème est qu’il est incapable de dire non. Il va par exemple donner toutes ses réserves de nourriture aux personnes dans le besoin, sans un seul moment penser à lui, puis connaître lui-même la famine. Il a donc besoin de l’aide de ses frères pour éviter que sa trop grande compassion ne le détruise. Le second des  frères, Bima, est tout l’opposé de son aîné. Si il a quelque chose en tête, il va foncer jusqu’à parvenir à son objectif sans une seul fois regarder en arrière. C’est un homme très brave qui n’écoutera jamais les conseils des autres s’il pense pouvoir obtenir ce qu’il veut par ses propres moyens. Le troisième frère, Arjuna, est capable de faire le bien comme le mal. Sa bonté vient du fait qu’il s’oppose au mal, qu’il combat l’injustice sans se préoccuper de lui mais des autres. Son côté mauvais lui permet de tuer de sang froid, sans compassion ni pitié. Il peut montrer une réelle brutalité au nom de la justice et du droit divin.

Les actions des principaux personnages du wayang sont en fait des métaphores sur le comportement humain. Judistira est le symbole de la beauté et de l’incapacité à mettre de côté la sensibilité. Bima, avec sa volonté d’agir mais sans contrôler ses émotions, est victime de son immaturité. Il est le symbole de la vitalité et des dangers d’agir avec passion, en écoutant ses instincts et personne d’autre. Arjuna est capable d’agir sans la moindre compassion en invoquant le droit divin et la justice dans un contexte humain. Inutile de rappeler les dangers d’un tel comportement.

Tous les trois sont confrontés au même dilemme : comment agir de façon réfléchie malgré les émotions que l’on ressent. Ces émotions, nos démons intérieurs, sont représentées ici par des géants et des ogres que les Pendawas affrontent sans cesse. A chaque fois qu’ils en tuent d’autres réapparaissent, à l’image des passions et désirs qui reposent en chacun de nous, que nous combattons mais qui peuvent ressurgir lors d’un moment de faiblesse.

Pour s’en débarrasser ou du moins les occulter, le wayang donne la solution : la méditation. Car en réalité le vrai message du wayang est l’appel à la méditation mystique pour rechercher la paix intérieure, le détachement émotionnel. La philosophie du wayang est celle du mysticisme qui tend à démontrer que chaque personne peut se libérer de ces émotions qui parfois nous amènent à agir de façon non réfléchie, irrationnelle. Ces émotions ne sont pas seulement la compassion mais aussi la colère, l’amour, l’espoir, le désespoir… Parvenir à se détacher du « soi » apporte un grand pouvoir et la paix dans le monde. C’est ce que les histoires du wayang racontent.

Si aujourd’hui les spectacles sont moins fréquents, en raison de l’arrivée de la télévision et des nouvelles technologies, le wayang et les histoires qu’il raconte ont gardé une grande influence sur les javanais et les balinais, et continuent à jouer un rôle important dans l’éducation des jeunes et la construction de leur personnalité. Cela se ressent dans l’attitude des habitants, qui en toute circonstance gardent leur calme et laissent rarement transparaitre leurs émotions.