Sur l’île de java, que l’on soit chrétien, musulman, bouddhiste ou hindouiste, on est d’abord kejawen. Le mot kejawen, que l’on peut traduire par javanisme, viendrait de la racine sanskrit Jiwa, l’âme, bien qu’une autre hypothèse lui donne pour origine le mot Jawa (Java).

Le kejawen est la voie mystique de Java qui rassemble tous les éléments de la culture javanaise. Ces éléments remonteraient à la période hindo-bouddhique de l’histoire javanaise qui connut son apogée lors du règne de l’empire Majapahit aux 13e et 14e siècles. Toutefois, les javanais s’accordent pour dire que la pensée kejawen est antérieure à toutes les religions qui ont abordé successivement les rivages de l’île de Java : l’hindouisme et le bouddhisme dès le 6e siècle, l’islam à partir du 8e siècle puis le christianisme lors des trois cents ans de colonisation hollandaise.

Le kejawen, contrairement aux autres religions, n’a pas de livre révélé, pas de dogme, pas de clergé. C’est la religion naturelle des javanais transmise de génération en génération depuis des temps très lointains par la musique, les danses, la poésie, la méditation et les pratiques rituelles.

Le kejawen, c’est la recherche du mode de vie bon et approprié, la quête de l’harmonie entre les personnes au sein de la société, entre les hommes et l’univers et entre les hommes et Dieu. Pour les javanais, il faut rendre le monde beau, c’est-à-dire préserver l’univers pour le bien-être de ses habitants.

Même si la plupart des habitants de Java ont été obligés après l’arrivée au pouvoir du président Suharto en 1968 d’adopter une des cinq religions officielles de l’Indonésie (islam, hindouisme, bouddhisme, protestantisme, catholicisme), les pratiques kejawen sont encore très visibles aujourd’hui.

Ainsi lors d’un voyage à Java il est courant de croiser l’une de ces pratiques kejawen tenues dans les villages, comme le slametan, repas entre voisins qui vise à assurer paix et prospérité à la communauté, ou alors la cérémonie du bersih desa, rite de purification du village au cours duquel Sri, la déesse du riz, est honorée.

Une autre pratique kejawen très importante a lieu le premier jour du calendrier javanais, nommé Satu Suro. Des milliers de javanais font alors le tour des remparts du palais du sultan de Yogyakarta, à pied et en silence. Cette procession a pour but de s’approcher au plus près de l’endroit où réside le Divin sur terre, point central d’une ligne imaginaire qui court du volcan Merapi, demeure de Sapu Jagad, le « balayeur du monde » qui purifie l’univers dans le cratère du volcan, jusqu’à la plage de Parangtritis où Ratu Kidul, reine de la mer du Sud et plus puissante des esprits javanais, se manifeste régulièrement.

C’est à ce même endroit que séjourne le sultan, le gardien des croyances kejawen dont le rôle est de préserver par des offrandes l’harmonie entre Dieu, les esprits, les hommes et les religions. Car pour les javanais toutes les religions se valent, ce qui n’a rien d’étonnant dans cette contrée où l’on retrouve l’un des islams les plus modérés et les plus tolérants du monde.

Depuis 2017, le gouvernement indonésien reconnait officiellement les croyances indigènes parmi lesquelles le Kejawen, qui peut désormais être mentionné sur la carte d’identité des habitants.